Le chant du rossignol était doux à l’ouïe, apaisant et chaleureux. Ce petit oiseau, à la carrure si petite, était adoré par bien des hommes et des femmes, grâce à son chant mélodieux, qui, jadis, inspira bien des artistes. Faisant frémir ses plumes afin d’en dégager les gouttes d’eau, il lâcha quelques petites notes, avant de sautiller sur sa branche, se rapprochant encore de la fenêtre d’où s’échappait une voix, fredonnant un air tout fraîchement composé. Le mouvement des tissus bleus et verts que le petit oiseau pouvait contempler lui apparaissaient comme des vagues de coton, à la fois douces et duveteuses. Alors, le rossignol sautilla encore un peu, puis déploya ses ailes et vint se poser sur le bord de la fenêtre, afin de mieux voir ce qu’il y avait derrière.
Une jeune femme, probablement la vingtaine, dansait. Elle tournoyait sur elle-même, filant au gré du léger courant d’air dans sa chambre. Le son de sa voix résonnait dans la pièce comme un magnifique chant appelant le calme et la détente ; cette femme était à elle seule une œuvre d’art toute entière. Et cette œuvre d’art, c’était le Premier Ministre de Sizheng. Quand le rossignol entendit que le chant touchait à sa fin, il l’appela ; Yuan Liu Biu se retourna, surprise, puis laissa un beau sourire étirer ses fines lèvres. Elle s’approcha du petit oiseau, qui ne semblait ressentir aucune crainte à son égard, et tendit la main. Le rossignol ne se fit pas attendre et s’envola sur la main qu’elle lui présentait, et après quelques caresses sur le dessus de la tête, l’animal se retira, dans un bruissement d’ailes. Il reviendrait.
Le départ du petit être rendit Liu Biu quelque peu mélancolique et pensive. Dans ces cas-là, un petit détour en direction de l’aquarium du château s’imposait. Saisissant son châle en même temps qu’elle ouvrait la porte, la dame se pressait pour s’y rendre. Elle ne voulait surtout pas qu’on l’arrête pour lui parler du travail alors qu’elle n’avait pas la tête à ça. L’inquiétude la rongeait un peu, depuis quelques jours, et elle craignait que les complot aboutissent à une fin de la trêve. Elle savait que c’était ce qui dérangeait bien du monde. Pourtant, au de-là de cette histoire de trêve, elle se doutait qu’il y avait encore quelque chose d’autre.
Une fois qu’elle eût mis le pied dehors, en contact avec les galets -car oui, elle était pieds nus-, son inquiétude se dissipa légèrement. Elle entama quelques pas, d’une démarche lente, comme si elle savourait la chaleur que les pierres avaient emmagasinées. Les yeux fermés, le visage levé vers le soleil, elle frissonna de plaisir. Qu’il était bon de pouvoir respirer cet air frais ! Après une petite dizaine de secondes où elle demeura immobile, ses jambes se remirent en marche et elle se promena entre divers statues et bassins, saluant d’un sourire tous ceux qu’elle croisait. Peu à peu, elle faisait le vide dans son esprit et sentait la force la regagner. Mais alors qu’elle s’apprêtait à repartir, un être, à la tenue pour le moins inhabituelle en ce lieu, attira son attention. Que faisait-il ?
S’approchant à petit pas, avec une très grande discrétion, elle observa cet étranger effectuer des gestes de la main assez particuliers. Seulement ces gestes, elle les avait déjà vus auparavant, et cette étrange sensation que le bassin devant lui s’agitait était à deux doigts de lui faire réaliser qu’elle avait devant elle une personne faisant usage de la magie. Posant ses mains sur ses genoux, laissant ses cheveux couler à sa droite, Liu Biu l’observait attentivement. Elle remarqua alors, dans l’eau, un poisson qui ne se comportait pas de façon habituelle. Là, ce fut le déclic ; Liu Biu compris qu’il s’agissait là de magie. Depuis la trêve, elle n’avait pas vu une seule fois quelqu’un s’en servir. La jeune femme observa la couleur des vêtements de cet étranger, mais ne se pose guère plus de questions. Après tout, il y avait encore des femmes et quelques hommes vêtus de blanc à Sizheng, à cause de la guerre. Elle-même se comptait dedans, elle qui ne portait que des tenues très claires. C’est après quelques secondes de réflexion que Liu Biu se décida à se rapprocher, curieuse. Sans trop le brusquer et surtout sans le surprendre, elle vint se poster à sa gauche, tout en laissant quelques mots s’échapper d’entre ses lèvres.
« Eh bien, Monsieur, il me semble que le poisson ne veuille pas sortir la tête de l’eau. »